Jean, notre frère, notre camarade inoubliable...
Pour tous ceux, Français et Algériens dont la vie a été liée un temps aux luttes de l'Algérie pour son indépendance,
le nom de Jean Galland fera longtemps ressurgir une profonde émotion en même temps que d'inoubliables souvenirs.
Nous sommes encore quelques uns qui avions fait sa connaissance, il y a plus d'un demi siècle quand, en cette année 1950,
il arrivait de son Berry natal pour occuper bientôt, dans un pays encore inconnu et après un passage à l'école normale
de Bouzaréah,
près d'Alger, un poste d'instituteur.
Cette période terminée, il fut désigné pour aller enseigner à Messaad, dans le Sud du pays. C'est là, qu'avec sa femme
Jeannette, il allait commencer à découvrir la vérité sur ce qu'était l'Algérie réelle qui n'avait rien à voir avec le
tableau enchanteur qu'en brossait les propagandistes de la colonisation. Brusquement les Galland allaient ouvrir les yeux
sur les réalités odieuses de la « province française »dont on ne parlait pas en France : la pauvreté générale de la
population, l'exploitation éhontée des fellahs réduits à la famine, l'ignorance dans laquelle étaient tenus les neuf
dixièmes des enfants en âge d'aller en classe, l'arrogance et la brutalité des agents de l'administration, le racisme,
les inégalités et le mépris institutionalisés qui faisaient des Algériens des sujets du « deuxième collège », dépourvus
de tous les droits dont jouissaient les Européens, citoyens du « premier collège ». Un système sur lequel, quel que soit
leur sentiment, la plupart des fonctionnaires nouvellement arrivés dans le pays préféraient garder le silence pour ne pas
déplaire à l'administration coloniale et ne pas compromettre leur carrière et de possibles promotions.
Mais, Jean et son épouse étaient d'une autre trempe. Ni l'un ni l'autre n'aurait jamais admis de se taire devant les
injustices, les mensonges, les comportements racistes dont les Algériens étaient quotidiennement victimes. D'autres
le faisaient en se donnant pour excuse que ce n'était pas leur affaire et que, quel qu'en soit le motif, prendre parti
pour ceux que l'on appelait encore communément les « indigènes », c'était trahir la France. Bien au contraire, pour Jean
imprégné des grandes idées de la Révolution de 1789 et de la Commune de Paris, dénoncer le système colonial et ses tares,
défendre ceux qu'il opprimait, c'était montrer une autre image de la France que celle que prétendaient représenter les
maîtres du pays, profiteurs et privilégiés, juges et policiers tortionnaires. Mais Jean avait très vite compris que
l'aspiration profonde des Algériens était aussi et avant tout d'être eux-mêmes, fidèles à leur langue, à leur histoire,
ce qui n'excluait nullement une ouverture aux autres.
Parce qu'il n'hésitait pas à défendre ces idées évidemment tenues pour subversives par l'administration française, parce
qu'en fin de compte, il partageait les soucis et les engagements des habitants des villages où il exerçait, lui et sa femme
étaient devenus rapidement plus que des amis pour eux. On les avait quasiment adoptés, jean n'était pas seulement le
merveilleux maître d'école que chacun appréciait pour ses qualités de pédagogue et la patience extraordinaire qu'il mettait
à suivre et à conseiller chacun de ses élèves mais aussi cet homme, ce frère, ce militant dont le cÏur battait à l'unisson
du leur pour que ce pays se libère des chaînes coloniales.
Tous lui étaient aussi reconnaissants de remplir avec un soin particulier la tâche ingrate et qui n'était pas sans risque de
correspondant « d'Alger républicain ». Grâce à lui, rien de ce qui se passait dans la localité ne restait désormais ignoré
et les petits tyrans locaux qui monnayaient passe-droits et privilèges ne se sentaient plus aussi protégés qu'ils avaient pu
l'être par le silence voulu qui les entourait. Ainsi Jean, aux yeux de l'administration était devenu un insupportable et
dangereux adversaire dont on soupçonnait que, communiste, il devait déjà avoir pris langue ou le ferait bientôt avec ces
militants algériens qui désespérant de voir les gouvernements français changer de politique, se préparaient clandestinement
à de plus âpres combats. Et bientôt, au premier novembre 1954, allaient effectivement retentir les premiers coups de feu de
l'insurrection nationale algérienne. Peu après, Jean et les siens (la famille s'était agrandie) étaient expulsés du
département d'Alger. Désormais il était interdit de séjour comme il le sera peu après du département d'Oran pour finalement
se retrouver en France où, de toutes ses forces, il s'acharnera comme, plus tard, aux côtés de l'Association des Combattants
de la Cause Anticoloniale (ACCA) à faire connaître la vérité sur l'Algérie coloniale, sur la guerre, les crimes commis au nom
de la France et pour exiger qu'il y soit mis fin.
Il reviendra alors dans cette Algérie désormais indépendante à laquelle il donnera encore le meilleur de lui-même.
Des années plus tard, pour continuer son combat et que pour que vive un jour cette fraternité qu'il souhaitait si fort entre
les peuples algérien et français, il racontera dans des livres remarquablement vivant et riches d'enseignements ce que fut
pour lui, pour Jeannette, son admirable compagne, en partie aussi pour ses enfants cette si dure mais aussi si exaltante
épopée. Car il n'y a pas d'autres mots pour évoquer une telle vie.
Que Jeannette donc, et ses enfants, Danielle, Jean-François, Alain, Sylvie, et Yamina, aujourd'hui accablés par le chagrin
mais à juste titre fiers de ce que fut Jean, soient assurés de la solidarité et de la profonde affection de leurs amis qui
étaient aussi ceux de Jean. Nous ne l'oublierons pas.
Henri Alleg
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