HOMMAGES
 
Hommage d'Henri Alleg le 31/01/2009
 
Jean, notre frère, notre camarade inoubliable...


Pour tous ceux, Français et Algériens dont la vie a été liée un temps aux luttes de l'Algérie pour son indépendance, le nom de Jean Galland fera longtemps ressurgir une profonde émotion en même temps que d'inoubliables souvenirs.
Nous sommes encore quelques uns qui avions fait sa connaissance, il y a plus d'un demi siècle quand, en cette année 1950, il arrivait de son Berry natal pour occuper bientôt, dans un pays encore inconnu et après un passage à l'école normale de Bouzaréah, près d'Alger, un poste d'instituteur.
Cette période terminée, il fut désigné pour aller enseigner à Messaad, dans le Sud du pays. C'est là, qu'avec sa femme Jeannette, il allait commencer à découvrir la vérité sur ce qu'était l'Algérie réelle qui n'avait rien à voir avec le tableau enchanteur qu'en brossait les propagandistes de la colonisation. Brusquement les Galland allaient ouvrir les yeux sur les réalités odieuses de la « province française »dont on ne parlait pas en France : la pauvreté générale de la population, l'exploitation éhontée des fellahs réduits à la famine, l'ignorance dans laquelle étaient tenus les neuf dixièmes des enfants en âge d'aller en classe, l'arrogance et la brutalité des agents de l'administration, le racisme, les inégalités et le mépris institutionalisés qui faisaient des Algériens des sujets du « deuxième collège », dépourvus de tous les droits dont jouissaient les Européens, citoyens du « premier collège ». Un système sur lequel, quel que soit leur sentiment, la plupart des fonctionnaires nouvellement arrivés dans le pays préféraient garder le silence pour ne pas déplaire à l'administration coloniale et ne pas compromettre leur carrière et de possibles promotions.
Mais, Jean et son épouse étaient d'une autre trempe. Ni l'un ni l'autre n'aurait jamais admis de se taire devant les injustices, les mensonges, les comportements racistes dont les Algériens étaient quotidiennement victimes. D'autres le faisaient en se donnant pour excuse que ce n'était pas leur affaire et que, quel qu'en soit le motif, prendre parti pour ceux que l'on appelait encore communément les « indigènes », c'était trahir la France. Bien au contraire, pour Jean imprégné des grandes idées de la Révolution de 1789 et de la Commune de Paris, dénoncer le système colonial et ses tares, défendre ceux qu'il opprimait, c'était montrer une autre image de la France que celle que prétendaient représenter les maîtres du pays, profiteurs et privilégiés, juges et policiers tortionnaires. Mais Jean avait très vite compris que l'aspiration profonde des Algériens était aussi et avant tout d'être eux-mêmes, fidèles à leur langue, à leur histoire, ce qui n'excluait nullement une ouverture aux autres.
Parce qu'il n'hésitait pas à défendre ces idées évidemment tenues pour subversives par l'administration française, parce qu'en fin de compte, il partageait les soucis et les engagements des habitants des villages où il exerçait, lui et sa femme étaient devenus rapidement plus que des amis pour eux. On les avait quasiment adoptés, jean n'était pas seulement le merveilleux maître d'école que chacun appréciait pour ses qualités de pédagogue et la patience extraordinaire qu'il mettait à suivre et à conseiller chacun de ses élèves mais aussi cet homme, ce frère, ce militant dont le cÏur battait à l'unisson du leur pour que ce pays se libère des chaînes coloniales.
Tous lui étaient aussi reconnaissants de remplir avec un soin particulier la tâche ingrate et qui n'était pas sans risque de correspondant « d'Alger républicain ». Grâce à lui, rien de ce qui se passait dans la localité ne restait désormais ignoré et les petits tyrans locaux qui monnayaient passe-droits et privilèges ne se sentaient plus aussi protégés qu'ils avaient pu l'être par le silence voulu qui les entourait. Ainsi Jean, aux yeux de l'administration était devenu un insupportable et dangereux adversaire dont on soupçonnait que, communiste, il devait déjà avoir pris langue ou le ferait bientôt avec ces militants algériens qui désespérant de voir les gouvernements français changer de politique, se préparaient clandestinement à de plus âpres combats. Et bientôt, au premier novembre 1954, allaient effectivement retentir les premiers coups de feu de l'insurrection nationale algérienne. Peu après, Jean et les siens (la famille s'était agrandie) étaient expulsés du département d'Alger. Désormais il était interdit de séjour comme il le sera peu après du département d'Oran pour finalement se retrouver en France où, de toutes ses forces, il s'acharnera comme, plus tard, aux côtés de l'Association des Combattants de la Cause Anticoloniale (ACCA) à faire connaître la vérité sur l'Algérie coloniale, sur la guerre, les crimes commis au nom de la France et pour exiger qu'il y soit mis fin.
Il reviendra alors dans cette Algérie désormais indépendante à laquelle il donnera encore le meilleur de lui-même. Des années plus tard, pour continuer son combat et que pour que vive un jour cette fraternité qu'il souhaitait si fort entre les peuples algérien et français, il racontera dans des livres remarquablement vivant et riches d'enseignements ce que fut pour lui, pour Jeannette, son admirable compagne, en partie aussi pour ses enfants cette si dure mais aussi si exaltante épopée. Car il n'y a pas d'autres mots pour évoquer une telle vie.
Que Jeannette donc, et ses enfants, Danielle, Jean-François, Alain, Sylvie, et Yamina, aujourd'hui accablés par le chagrin mais à juste titre fiers de ce que fut Jean, soient assurés de la solidarité et de la profonde affection de leurs amis qui étaient aussi ceux de Jean. Nous ne l'oublierons pas.
Henri Alleg
 
 
Jean GALLAND
enseignant et militant anticolonialiste

Témoignage de Gérard Trumeau
enseignant coopérant à Annaba Algérie
de septembre 1965 à Août 1969
Militant à la CGT et au PCF
 
C'est à l'occasion d'une randonnée au profit du Secours Populaire que je rencontre Jean GALLAND aux alentours des années 1994-95 juste avant mon départ en retraite en 1997.
De nature bavards l'un et l'autre, nous nous découvrons rapidement des convergences, berrichons tous les deux et surtout marqués par nos années passées en Algérie. Jean me propose de nous revoir, intéressé par des témoignages sur l'Algérie qui pourraient êtres utiles à la rédaction de ses livres en instance d'écriture. C'est avec plaisir et curiosité que j'accepte son invitation, c'est le début d'une amitié qui durera jusqu'à son décès.
Nous nous sommes rencontrés et nos échanges portaient le plus souvent sur l'Algérie de préférence devant un bon repas que nos deux épouses savaient si bien préparer.
Membre tous les deux du PCF durant la guerre d'Algérie, nous n'avions pas tout à fait la même approche sur l'attitude à avoir par rapport au conflit, lui au cœur des événements et moi en métropole en instance de départ pour le service militaire. Jean lors du début de la rébellion en 1954 enseignait depuis deux années et était confronté directement à la misère que le colonialisme faisait subir au peuple algérien. Il adhère au parti communiste algérien, il y milite activement jusqu'à son arrestation et son expulsion d'Algérie. Il sera le premier français expulsé. Il aura toujours reproché au PCF de ne pas avoir soutenu suffisamment les actions individuelles, recommandant plutôt l'action collective moins risquée. Pour ma part militant aux jeunesses communistes j'ai choisi la seconde solution sans condamner les courageux qui ont opté pour la première. Nous avons eu des longs échanges sur ce sujet, toujours cordiaux et sans jamais trouver la bonne solution.
Jean était un homme de conviction profondément humain, malgré ses divergences avec le PCF .
Jean participait à des réunions à Paris avec un groupe de militants anticolonialistes qui se sont illustrés durant la lutte contre cette sale guerre et qui en avaient subi de lourdes conséquences. Il y avait entre autres Henri ALLEG auteur du livre « la Question », Alban LIECHTI refus de combattre et 4 années de prison, Hélène CUENAT membre du réseau JEANSON emprisonnée à la Roquette et évadée avec deux autres jeunes femmes, et bien d'autres militants. J'ai pour ma part bien connu Hélène CUENAT. Après l'indépendance elle rejoint l'Algérie où elle dirigera un centre de formation professionnel pour adultes à Annaba. C'est sous sa direction que j'enseignerai durant quatre années en coopération pour mon plus grand bonheur.
De retour en métropole après son expulsion il enseigne dans différentes écoles du Cher sa région d'origine, et reprendra ses activités militantes au PCF il sera candidat de ce parti lors d'élections législatives.
En 1963 il repart en Algérie et occupera différents postes pédagogiques au sein de l'Education nationale algérienne, il sera notamment chargé de formation des futurs instituteurs. Il sera déçu de ce qu'il découvrait qui n'avait rien à voir avec les espoirs qu'il avait fondés dans l'Algérie nouvelle et pour laquelle il s'était tant investi. Pour autant, il n'a jamais renié son attachement à ce peuple qu'il a toujours aimé, dans nos longues conversations, l'Algérie revenait en permanence.
Il avait pressenti les événements tragiques qui allaient endeuiller le pays et l'espoir de démocratie qui s'éloignait, il en sera très affecté.
De retour en France il s'installe à Esvres et prend la direction du collège de Cormery, il y terminera sa carrière, c'est durant cette période que je me lie à Jean.
On ne peut évoquer la vie de Jean sans parler de son adorable épouse Jeannette, c'était un couple merveilleux. Jeannette s'est investie au Secours Populaire, sa façon à elle d'être utile aux autres.
Je recommande toujours de lire et relire ses trois ouvrages, émouvants témoignages de ce que fut cette sale guerre et l'avènement de l'Algérie nouvelle. Le dernier tome : « L'indépendance un combat qui continue ! » résume parfaitement la déception mais aussi l'espoir qu'à pu ressentir Jean après sa seconde campagne algérienne. Il avait parfaitement mesuré que ce peuple qui s'était libéré de l'oppression coloniale avait encore à se libérer de sa propre bourgeoisie. C'est dans ce livre qu'il m'a fait l'honneur de nous consacrer un chapitre (page 141 : je coopère, tu coopères, il ne s'agit que d'une fiction nous n'étions pas au même moment en Algérie, mais ceci aurait pu être réalité.
Après son retour, il se retire quelque peu de la vie militante et se consacre à l'écriture de ses trois ouvrages sur l'Algérie.
Avant son décès il écrira un essai sur Georges SAND.

En résumé, Jean GALLAND mon camarade, c'était la lucidité, la convivialité, la fidélité à ses amis et à ses convictions.

Gérard Trumeau
5 Septembre 2018