OUVRAGES PUBLIÉS
 
 
RÉPONSE À L'INTERPELLATION D'UN INTERNAUTE
 

DU BERGER A LA BERGERE,

Prenant prétexte de mes livres (que vous n’avez sans doute pas lus ?) vous m’avez interpellé par e-mail provenant d'une adresse de la forme  : .........@regionpaca.fr.
Ces livres ont pour titres :
1/ En Algérie du temps de la France – 1950 – 1955
2/ La tête ici, le coeur là-bas – Guerre d’Algérie 1955-1962
3/ L’Indépendance, un combat qui continue – Algérie 1962-1974
Permettez que je vous réponde

1/ Vous écrivez :
« Si la colonisation était aussi détestable que vous la décrivez, pourriez-vous me dire pourquoi misère et guerre civile se succèdent en Algérie ? »
Un ami m’a proposé de vous retourner votre question sous la forme :
«  Si la colonisation avait été aussi avantageuse pour les colonisés que vous paraissez le croire, y aurait-il aujourd’hui tant de misère et de désordres. »
Ce serait assez logique donc acceptable mais, à mon sens , un peu bref !
Puisque le problème de la colonisation de l’Algérie vous intéresse vous ne pouvez ignorer dans quel esprit et pour servir quels intérêts cette entreprise a été engagée et s’est développée de 1830 à 1962.
Les galonnés dont les noms barbouillent encore les plaques de nos boulevards se sont eux-mêmes chargés d’expliquer comment ils ont ordonné la destruction des vergers et des cultures, l’incendie des villages, l’expropriation des terres, l’extermination des populations ... Voyez Bourmont, Clauzel, Damrémont, Valée, Bugeaud, Lamoricière, Pélissier, Montagnac, Saint-Arnaud et tant d’autres ...
Pour mémoire je vous citerai Montagnac, colonel  en 1843 :
« Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments et les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot, il faut anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens ! »
En somme, la leçon de Bugeaud avait porté, et au-delà, lorsqu’en juillet 1841 il avait déclaré :
« C’est en enlevant aux Arabes les ressources que le sol leur procure que nous pouvons en finir avec eux ! »
Cette tragédie a connu son point d’orgue de 1954 à 1962. J’en ai constaté moi-même les effets au lendemain de l’indépendance.
Depuis, Montagnac, par exemple, a été jugé  par ses pairs. A propos de l’affaire de Sidi-Brahim le général Azan est catégorique :
« Montagnac et Barral se partagent les responsabilités du désastre mais c’est Montagnac qui en a la plus grande part. C’est lui qui a engagé une action téméraire, sans ordres et même contre les ordres de son chef et cela dans les plus mauvaises conditions ... »
Ainsi Lucien-François de Montagnac que certains ont qualifié de « gentilhomme, d’artiste et d’officier complet », que « la moindre infraction aux lois de l’honneur ( ?) mettait hors-de-lui», s’est-il conduit à Sidi-Brahim d’une manière inqualifiable Beau gentilhomme et belle image de la conquête et de ses méthodes !!!
La conquête ayant débouché sur une soi-disant pacification (émaillée d’insurrections, d’actes de résistance, de refus de l’assimilation...) l’exploitation coloniale de l’Algérie a plus ou moins changé de formes SANS JAMAIS CESSER D’ËTRE PREJUDICIABLE FONDAMENTALEMENT AU PEUPLE ALGERIEN ; Si bien qu’en 1954 la vie sociale dans l’Algérie « française » ( ?) présentait des disparités scandaleuses entre Français et Algériens.

Taux de mortalité infantile    46‰ (Européens)    181‰ (Algériens)
Scolarisation primaire           99‰         "               20‰         "
Urbanisation                         95‰         "               19‰         "
Salaire journalier moyen      1000 F        "               380 F         "
Etc ...etc ... etc ...
Ne parlons pas des injustices subies à tous les détours de la vie, des libertés les plus élémentaires bafouées, des inégalités révoltantes entre les droits des uns et des autres. Mon livre « En Algérie du temps de la France » en décrit de toutes sortes dont j’ai été témoin.
Instituteur en 1951-1952 à Messaad au pays des Ouled-Naïl j’y ai appris par mes amis nationalistes les tueries ordonnées par Montagnac,encore lui, en Juin 1845, juste avant son équipée désastreuse de Sidi-Brahim.
Par la suite, en Kabylie, j’ai découvert que les mères menaçaient leur progéniture indisciplinée d’appeler Bichouh (Bugeaud) comme chez nous on faisait  référence à l’Ogre dévoreur de petits enfants !
Un jour, un vieil homme m’a raconté le souvenir qu’il avait conservé d’une fuite éperdue dans les taillis d’arbousiers de la forêt de Yakouren. Il se trouvait dans les bras de sa grand-mère que poursuivaient des carabiniers armés de fusils Chassepot à longue baïonnette dont ils fouillaient les buissons.
Ce passé-là était bien loin d’être effacé. Ajouté à l’expérience des guerres de 14-18 et de 39-45 il n’allait pas tarder à armer les consciences en vue d’un changement radical. Le 1er Novembre 1954 en a apporté la preuve.
J’ai vécu sans surprise en Kabylie le premier jour de l’insurrection pour l’Indépendance.

2/ Pour sonner suite à la seconde partie de vos interrogations permettez-moi de prendre à témoin des personnes qualifiées compte - tenu de ce que, depuis 1974, je n’ai séjourné qu’une dizaine de jours à Alger pour les fêtes du Millénaire de la ville où j’avais été invité.
En préliminaire à l’examen des problèmes en cause un historien, soucieux de modestie et de prudence, nous rappelle que :
« Il a fallu 80 ans pour que s’acclimate l’idée de République en France » ...
J’ajoute :
« Qui jurerait aujourd’hui que cette République est désormais assise immuablement ? »
Ensuite je vous serais obligé de bien réfléchir à cette déclaration du Président Boumédiene, déclaration que les Français ont sur la conscience et que nous avons admise trop chichement en avouant qu’au lieu d’évènements il soit fait état d’une guerre d’Algérie :
« On ne pourra jamais comprendre ce qui est arrivé en Algérie après l’Indépendance si on perd de vue que ses meilleurs enfants ont été fauchés par la guerre.  Outre les milliers de petits et moyens cadres tombés dans la répression coloniale, des dizaines sinon des centaines ont été victimes de purges et de règlements de comptes. La régression phénoménale était visible dans le personnel politique qui se disputait les postes d’autorité et « les élections ».
A propos de la question des visas quoi de plus naturel qu’un citoyen algérien privé de travail (comme tant de citoyens Français le sont chez nous !) cherche au-delà de ses frontières un emploi convenablement rémunéré ? Ce problème existe, hélas, dans le monde entier  !.
C’est parfois  l’occasion, ici et en Algérie, de ricaner et de remettre en cause le bien-fondé de l’Indépendance algérienne !!!. Le journaliste FARAH Maamar dans « Le soir d’Algérie » rappelle alors à plus de dignité ... et de mémoire :
« Si la colonisation était encore là ces amnésiques seraient dans leurs douars à conduire des ânes à la place des bagnoles luxueuses qu’ils possèdent ; ils habiteraient toujours des gourbis et n’auraient même pas le droit de passer dans les rues bordées de belles villas où ils résident aujourd’hui ! Pouilleux et pieds nus, ces gens-là qui crachent dans la soupe qui les a rendus hommes, auraient été cireurs, portefaix, ouvriers agricoles ou, dans le meilleur des cas, petits employés administratifs. »
La colère de F.M vise à travers certains journalistes cette caste de « révisionnistes » à qui la lutte pour l’indépendance n’a rien coûté et qui ont réussi depuis 50 ans à tirer les marrons du feu.
Ailleurs, Mohammed BOUHAMIDI évoque les sacrifices de ceux qui ont jeté les bases d’un Etat algérien et établi les fondements de la définition d’une Nation algérienne grâce à :
« la « folie » des plus clairvoyants qui ont initié la lutte armée, l’entrée en masse du peuple algérien dans la guerre de libération, le courage des mères et des soeurs qui ont affronté les territoriaux, le contingent, les paras, les légionnaires, des aînés qui ont pris les chemins souterrains de la guérilla urbaine ou ceux des maquis avec la certitude d’y mourir et  qui se battaient après avoir  arraché leurs armes des mains de l’ennemi, des anciens qui dans les centres de tri ont tenu dans leurs bras leurs frères torturés et qui ont connu dans les camps le long isolement carcéral. »
M.B aborde aussi l’actualité en analysant la complexité du combat pour une algérianité moderne :
« Les composantes linguistique, religieuse et ethnique de notre identité constituent les strates les plus profondes, les plus solides, les moins exposées aux ruptures. Ce n’est pas le cas de l’algérianité, fille du 20ème siècle et d’un intense travail du mouvement national qui a réussi en moins d’un  demi siècle à élever l’appartenance nationale au-dessus des identités et des appartenances tribales, claniques, régionales (en dépit de ce que) la berbérité a été refoulée, ensevelie sous les impératifs d’unité pour combattre la domination coloniale ... et QUI RESTE UNE QUESTION DEMOCRATIQUE (EN MËME TEMPS) QU’UNE QUESTION-CLE DE L’ALGERIANITE EXIGEANT LE REJET DES ANATHEMES »
Pouvez-vous comprendre, Madame, que les problèmes abordés bien brusquement par votre e-mail (et non sans arrière-pensée, n’est-ce pas ?) ne peuvent pas être réglés à coups d’exclusions ?
Nadine Gordimer nous a déjà mis en garde contre ces jugements à l’emporte-pièce en nous avertissant que :
« La décolonisation intellectuelle est un long processus tellement les mentalités s’acharnent à perdurer. »

Veuillez croire Madame, en l’expression de mes sentiments pour le respect de l’autre et l’amitié des peuples.

Jean Galland

 P.S : mes livres sont en vente chez J. Galland La Hardellière 37320 Esvres et chez l’Editeur Tirésias. 1 - 23€  2 - 24,5€  3 - 25€